L’ombre d’Anastasie : la caricature et la censure
En raison de son caractère subversif, la caricature est l’une des cibles privilégiées de la censure au cours du XIXe siècle. Les années 1870 à 1918 sont parfois considérées comme un relâchement de la censure étatique. Toutefois, la Troisième République ne marque pas la disparition de la censure : une loi est ainsi promulguée le 11 mars 1871 afin d’établir un contrôle plus strict des images diffusées dans la presse. Dans la caricature, cette décennie marque l’apparition d’une figure emblématique de la censure créée par André Gill : Anastasie, vieille femme reconnaissable à son immense paire de ciseaux, qui figure pour la première fois dans le journal L’Eclipse en 1871.
Un tournant s’opère grâce à la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui ouvre un champ d’expression plus large aux dessinateurs de presse et permet aux caricaturistes de dénoncer plus librement la corruption sous la Troisième République. Une nouvelle forme de contrôle s’affirme néanmoins dès décembre 1893 envers les anarchistes, dont les actions se multiplient en France et dont la parole est étroitement muselée par le pouvoir.
Ce renouveau de la censure prend toute son ampleur au début de la Première Guerre mondiale : dès le 2 août 1914, l’état de siège est instauré et permet à l’Etat d’interdire toute publication de presse puis le 5 août, la censure est instaurée par décret. Au Ministère de la Guerre, un bureau est alors chargé de contrôler toutes les publications afin de vérifier que celles-ci ne démoralisent pas les troupes et les civils. Chargés de diffuser le message militariste du gouvernement, les caricaturistes deviennent les instruments d’une forme de propagande étatique et perdent ainsi leur crédibilité. Face à l’abandon de leur liberté de ton, la fin de la Première Guerre mondiale marque une phase tout à la fois de déclin et de contestation de l’art des caricaturistes.
La petite anecdote
La censure préalable impose aux dessinateurs et aux directeurs de journaux de présenter leurs caricatures à l’administration avant leur publication dans la presse. En vigueur en 1835 pendant la Monarchie de Juillet (1830-1848), elle est supprimée en 1848 avec l’arrivée de la IIème République et réapparait en décembre 1851 de manière plus sévère. Les dessinateurs doivent, outre la vérification préalable de l’administration, demander l’autorisation écrite de la personne qu’ils souhaitent caricaturer.
En réaction contre cette nouvelle forme de censure, certains journaux, à l’image comme Le Diogène, Le Masque, Le Hanneton ou encore La Lune, choisissent de publier en dessous des portraits-charges l’autorisation écrite des personnalités représentées qu’ils considèrent originales ou qui dénoncent les atteintes aux libertés des dessinateurs.
Cette censure préalable traverse tout le Second Empire (1852-1870) et le début de la IIIème République (1870-1940), jusqu’à la loi de juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui entraîne la création de centaines de journaux illustrés.
Portrait non champenois, Fleury