La reliure d'art de l'année
Intro
Depuis le début des années 1990, la bibliothèque Carnegie soutient activement la création contemporaine grâce à une politique de commande annuelle de reliures d’art. Autrefois prises en charge par la Société des Amis de la bibliothèque municipale de Reims, ces commandes sont aujourd’hui portées par la bibliothèque et soutenues par le FRAB Grand Est (fonds régional d’acquisition pour les bibliothèques). Elles permettent d’accroître cette collection qui rassemble des grands relieurs français et étrangers contemporains.
La commande annuelle
En 2023, l’ouvrage Poèmes de jalousie de Claire et Yvan Goll, illustré par Léonard Foujita et publié en 1926 a été confié à Morina Mongin, relieur d’art.
Cette œuvre se positionne dans la lignée traditionnelle de la reliure à la française, reprenant tous ses codes, ses règles et sa rigueur.
Lorsque nous sortons le livre de son étui la reliure est protégée d’une sobre chemise galbée, titrée sur le dos. De ce fait, les rayons du soleil ne pourront pas endommager le livre, mais son titre sera instantanément visible dans les rayonnages de la bibliothèque.
La couverture en veau box gris presque sans grain apparait alors.
Le décor original est composé de deux mains inspirées des gravures de Foujita qui illustrent ce recueil. Découpées dans la même peau que la couverture, elles offrent un motif en surépaisseur dont le rebord est teint de rose.
Le titre poussé au film coloré « oeser » lettre par lettre par Geneviève Quarré de Boiry encercle et orne la pièce de cuir. Le relief de la main se retrouve ainsi contrebalancé par son tracé modelé dans le chèvre-velours de la chemise et par l’enfoncement du titre dans le cuir.
Les nuances de rose se poursuivent en ouvrant les premiers feuillets. Le cuir, doublé bord à bord, continue sa course jusque dans les mors. Vestige des reliures jansénistes, un encadrement à filet simple borde ce contreplat. Des pétales de fleurs découpées dans un galuchat rosé se déposent sur la page. Un effet de légèreté et de douceur l’accompagne, contrastant avec la dureté et la maitrise que nécessite la découpe de cette peau de poisson extrêmement résistante, très prisée dans l’ébénisterie et la gainerie Art déco.
La garde volante, montrant le côté chair de la peau de chèvre, aussi appelé velours, offre sa texture veloutée comme préambule aux poèmes.
Ourlées de palladium, les tranches des pages jouent avec la lumière. Le travail de Jean-Luc Bongrain, un des derniers doreurs sur tranches de France, y est à souligner.
En 2021, l’ouvrage d'Anna de Noailles, Les Jardins : Poèmes de la comtesse de Noailles, illustrés et ornés par Jean Berque (RESERVE CHMM 87), a été confié à la relieuse Julie Auzillon, créatrice de reliures contemporaines depuis 2003.
Ce document inaugure une nouvelle ligne de reliures, avec son décor alliant cuir peint et impression d’une héliogravure offrant d’infinies possibilités graphiques, sublimé par ses tranches finement dorées.
L’héliogravure, un procédé oublié
L’héliogravure est un procédé du XIXe siècle permettant le transfert d’une image photographique sur une plaque de cuivre, pour produire une image aux dégradés de gris subtils ou aux noirs profonds, à partir d’une matrice gravée. Traditionnellement reproduite sur papier, elle est ici imprimée sur cuir, par la maître d’art Fanny Boucher, offrant au tirage le sens du toucher. Les encres utilisées étant à base de pigments naturels et d’huile, l’héliogravure est l’un des procédés de reproduction d’images photographiques les plus stables. Un fragment de la matrice originale en cuivre encrée et laquée est joint à la reliure, devenant objet d’art et conférant au décor de cette reliure son unicité.
La reliure
Reliure à tiges en veau naturel peint à l’encre en nuances de vert, d’où se détachent des formes évoquant le végétal imprimées en héliogravure par Fanny Boucher, tiges de titane vertes assorties ; décor se poursuivant sur les doublures bords à bords, gardes volantes en papier vietnamien écru rayé d’encre blanche ; titrage en long sur le dos, au film or rose ; tranches dorées sur témoins à l’or blanc par Jean-Luc Bongrain ; chemise rigide décorée et titrée sur le dos, étui ; fragment original de la matrice de l’héliogravure, encrée et laquée, en chemise séparée ; titrage de Geneviève Quaré de Boiry.
L’ouvrage
Cet ouvrage, tiré à cent cinquante exemplaires, numérotés et signés, constitue le 16e ouvrage illustré par l’artiste rémois Jean Berque (1896-1954). Les thèmes représentés consistent essentiellement en des paysages et natures mortes de fleurs, en référence aux poèmes d’Anna de Noailles (1876-1933). Les fins traits et aplats de couleur retranscrivent avec poésie la nostalgie de ce recueil.
Les contreplats ont été imprimés de la même manière que le décor. Une boîte à chasse a été créée afin de recevoir l'ouvrage et les quatre placards qui l’accompagnent. Cette boîte est couverte de cuir et de papier à base de fibres d'artichaut et de bambou réalisé par Rita Fortin.
La reliure d’art contemporaine de l’année 2020 est conçue par la relieuse Joëlle Bocel pour un ouvrage de René Daumal, Le Contre-Ciel (Réserve CHM 63).
Il s’agit d’une reliure à la française en veau naturel noir.
Le cuir a été imprimé d'un monotype avec une encre bleu Orient, et du pigment bleu primaire a été projeté lors de l'impression. Par ce décor, Joëlle Bocel a souhaité représenté une « reliure cosmique », aérienne, thématique que lui a inspiré le titre ainsi que le contenu de ce recueil poétique.
Le titrage a été réalisé par Geneviève Quarre de Boiry sur le plat avant dans une teinte cuivrée. Et une coupe a été réalisée dans le plat arrière.
Les contreplats ont été imprimés de la même manière que le décor. Une boîte à chasse a été créée afin de recevoir l'ouvrage et les quatre placards qui l’accompagnent. Cette boîte est couverte de cuir et de papier à base de fibres d'artichaut et de bambou réalisé par Rita Fortin.
La parole à Joëlle Bocel :
"Je ne crois plus à la lumière,
il ne reste rien, des îles éparpillées
s'en vont mourir dans les gouffres,
mais je ne sais plus me perdre,
et je pleure dans le faux jour."
Pour « Le Contre-Ciel » de René Daumal, j’ai souhaité traduire cette lumière par une nuit céleste, sombre, avec ses reflets profonds, ses couleurs sourde rehaussées par une projection de bleu.
Le titre est aligné sur une ligne qui traverse l'ouvrage tel « le cri qui tombe en déchirant le ciel », et sa base évidée évoque cette négation pure qui imprègne l’ouvrage.
En 2017, c’est l’ouvrage Les Huits Renommées de Kikou Yamata illustré par Léonard Foujita (Réserve CHM 100), qui a été confié à Annika Baudry, relieure d’art. Découvrez son site internet.
La création d’Annika Baudry est un montage sur onglets cousus. La couvrure est réalisée en pleine peau de veau. La peau est préalablement travaillée : elle est teintée et poncée avec une partie grise et une partie rouge orientale. Des détails des illustrations de Foujita ont été imprimés en noir sur la peau. Les contre-gardes collées sont en papier imprimées avec d’autres parties des illustrations se trouvant dans l’ouvrage.
La parole à Annika Baudry :
[...]"Les illustrations de Foujita avec leurs lignes et points noirs dégagent une grande précision dans leur simplicité et c’est cette ambiance que j’ai voulu faire ressortir.[...]. J'ai choisi d'isoler un élément de l'illustration - un navire - et de l'imprimer à plusieurs reprises sur le cuir à l'encre noire (jet d’encre). [...]"
En 2016 c'est le Cantique des cantiques du roi Salomon illustré par Jean Berque (Réserve CH G 66) qui a été confié à Nathalie Berjon, relieur d'art. Née en Champagne, installée à son compte depuis 2001, Nathalie Berjon est présidente de l'association APPAR (association pour la Promotion des Arts de la Reliure) et assure la préparation au C.A.P des Arts du Livre aux Ateliers d’Arts Appliqués du Vésinet. Découvrez son travail sur son site internet
La création de Nathalie Berjon mélange, sous forme d’une reliure mosaïquée, la peau de chèvre oasis vert du Nigéria et beige d'Afrique du Sud avec des fibres de carbone et d'aramide. Par l’alliance de ces deux matériaux très différents, elle s’inscrit à la fois dans la tradition de l’histoire de la reliure (avec les reliures en plein cuir mosaïqué) et explore en même temps des voies nouvelles. En effet, l’utilisation de fibres de carbones et d’aramide, éléments très modernes, renvoie aux voiles du Vendée Globe, à la pointe de la technologie. Le rendu obtenu prend une teinte gris noir, grâce aux fibres de carbone pour l’aspect noir et à l’aramide pour l’aspect plus clair. Très fin, similaire au papier pelure Japon, ce matériau hybride donne une impression arachnéenne, comme battu par la pluie et les vents.
Cette reliure d'art a été présentée à Paris le jeudi 5 octobre 2017, à l'exposition Ephémère, à la mairie du 6e arrondissement. Cette exposition organisée par l'assocation des amis de la reliure originale (ARO) réunit les meilleurs relieurs d'art professionnels français et européens.