Un trésor à la loupe :
la cathédrale Notre-Dame de Reims par Victor Hugo
Victor Hugo et Reims : des liens insoupçonnés
Première venue de Victor Hugo à Reims
Parmi les documents manuscrits conservés par la bibliothèque Carnegie se distingue une riche collection d’autographes de figures illustres telles que Colbert, le peintre Delacroix… mais également Victor Hugo, présent à travers plusieurs lettres adressées au maire de Reims entre 1847 et 1849. Ces lettres se placent en regard de la correspondance adressée par Eugène Courmeaux (1817-1902), au maire de Reims de l’époque, Nicolas Carteret, qui permet d’imaginer les réponses transmises à Hugo.
correspondance entre hugo et carteret
La correspondance entre Victor Hugo et Nicolas Carteret débute par une lettre en date du 17 avril 1847, adressée par l’écrivain au maire de Reims. Hugo propose au maire l’échange suivant : un pupitre tournant conservé par la bibliothèque de Reims, qui lui permettrait de consulter plusieurs ouvrages simultanément lors de ses recherches préparatoires, contre un exemplaire des Mémoires inédits à l’histoire de France. Comme le précise l’annotation ajoutée en tête de ce courrier, ce courrier a été transmis pour traitement par le maire à Eugène Courmeaux. Celui-ci donne suite à cette demande en transmettant au maire une étude détaillée de la proposition d’Hugo, inclue dans le Registre des Correspondances entre la Bibliothèque et la Mairie au n°403.
Datée du 29 mai 1847, cette étude juge la proposition d’Hugo intéressante. Courmeaux précise que le pupitre demandé est fatigué et n’est plus utilisable en toute sécurité ; ce qui explique qu’il ait été remisé dans le cartulaire de la bibliothèque. Face à ce pupitre inusité et sans grande valeur esthétique ou financière (il estime la valeur de l’objet à 200F), la Collection des documents inédits sur l’histoire de France proposée par Hugo se révèle au contraire d’un grand intérêt pour les collections de la bibliothèque. Eugène Courmeaux encourage donc vivement Carteret à accepter cet échange. Concernant l’intérêt de l’écrivain pour cet objet, il provient selon le bibliothécaire d’un précédent échange effectué en 1843 avec l’archevêque de Reims Gousset, qui l’a amené avec lui de Besançon, la ville natale de Victor Hugo. Courmeaux explique cette demande par le besoin de l’écrivain de disposer de « quelque souvenir de patrie et de jeunesse, quelque sentiment pieux et poétique, se liant à la vie intime de l’illustre écrivain ».
Suite à ces indications, la demande d’Hugo semble ne recevoir aucune réponse, comme l’indique la relance effectuée par Courmeaux auprès du maire à la fin de la même année, le 24 novembre 1847. Ce silence semble incompréhensible au bibliothécaire, qui précise avoir transmis une copie de ce courrier adressé au maire de Reims à Victor Hugo :
« Pour ma part, j’ai cru devoir conjurer la rancune du grand artiste &
lui ai fait passer une copie du rapport que vous m’avez demandé en protestant de mon impuissance absolue. »
Courmeaux met en effet un point d’honneur à entretenir de bonnes relations avec Victor Hugo et souligne auprès du maire les avantages apportés par une relation cordiale avec un tel homme :
« Veuillez me pardonner M. le Maire les considérations que je prends la liberté de vous présenter ; elles ne sont dictées que par l’intérêt que m’inspire la bibliothèque et par le sentiment des convenances dues à un homme de talent et de la position de M. Victor Hugo, dont la bienveillance peut un jour vous être très précieuse. »
L’insistance de Courmeaux porte ses fruits : le maire répond enfin à Victor Hugo, qui le remercie dans une lettre datée du 30 décembre 1847. L’auteur s’y excuse de sa réponse tardive, qu’il explique par une grave maladie de son épouse Adèle. Il s’interroge également sur la valeur des ouvrages qu’il souhaitait proposer en échange du pupitre et propose de les remplacer par d’autres ouvrages à la convenance de la bibliothèque de Reims.
Un second courrier d’Hugo daté du 21 mai 1848 laisse à penser que ces mémoires suffisent finalement à la ville de Reims en échange du pupitre. Cependant, le registre des correspondances garde trace d’une lettre adressée par le maire à Eugène Courmeaux le 13 janvier 1849 afin de lui demander d’indiquer les titres susceptibles de compléter les collections de la bibliothèque et qu’Hugo serait susceptible de fournir en échange de cet objet. Courmeaux transmet donc une liste d’une vingtaine d’ouvrages dans des domaines très divers : l’histoire, la géographie, les langues anciennes, mais également des œuvres littéraires telles que celles de Walter Scott.
Toutefois, ce même registre évoque à côté de la copie de la lettre de Courmeaux « une délibération du Conseil municipal de Reims, en date du 5 avril 1849 relative à cet échange qui est autorisé. La Ville doit obtenir les documents inédits et solliciter en outres les œuvres de M. Hugo ».
Le Maire opte finalement pour l’offre initiale d’Hugo, en ajoutant toutefois les œuvres de l’écrivain comme règlement de cet échange.
L’affaire est enfin conclue en mai 1849, comme le précise la dernière lettre d’Hugo inclue dans cet ensemble :
« J’ai reçu le pupitre, et j’ai expédié en notre nom par les reulays à votre adresse l’exemplaire complet des mémoires inédits de l’histoire de France. Je me suis empressé de satisfaire la gracieuse aide de la municipalité de Reims en faisant mettre dans la caisse un exemplaire de mes œuvres complètes »
BM Reims, Est. recueil 28
Eugène Courmeaux est bibliothécaire adjoint de la Bibliothèque municipale de Reims dès le 20 octobre 1843 avant de devenir conservateur de la bibliothèque, des archives et du musée de Reims du 20 août 1846 au 12 janvier 1850 puis du 1er janvier 1887 au 31 décembre 1895. Cette interruption de 37 ans s’explique par la destitution de Courmeaux suite à ses protestations face à l’expédition de Rome de 1849, menée par les troupes de Louis-Napoléon Bonaparte en Italie afin de destituer la République romaine. Après de longues années d’exil sous le Second Empire et une vie politique mouvementée, Eugène Courmeaux ne retrouvera ses fonctions au sein de la bibliothèque municipale qu’au 1er janvier 1887, lorsqu’il rentre à Reims avec le titre de conservateur de la Bibliothèque, des Archives et des Musées de la ville.
Les parallèles entre Hugo et Courmeaux sont nombreux : ils sont tous les deux exilés suite au coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1852, témoignent d’un engagement glissant progressivement vers l’extrême-gauche, et exercent des fonctions politiques dans leur pays natal suite à la fondation de la Troisième République : Courmeaux devient en effet député de la Marne de 1881 à 1885, alors qu’Hugo occupe le siège de sénateur dès 1876.
Néanmoins, les relations entre Hugo et Eugène Courmeaux ne s’effectuent pas uniquement par l’intermédiaire du maire de Reims, que le bibliothécaire est amené à orienter dans ses choix. Des liens plus directs entre ces deux hommes de lettres ont existé, comme en témoigne la présence dans la bibliothèque d’Eugène Courmeaux d’une lettre qui lui a été adressée par Hugo.
Le Catalogue des livres et autographes composant la Bibliothèque de Monsieur Eugène Courmeaux, ancien Député de Reims, ancien Bibliothécaire de la Ville, qui seront vendus après décès les vendredi 6 et samedi 7 février 1903 comprend non seulement un riche ensemble d’ouvrages de Victor Hugo, mais également une lettre autographe d’Hugo datée du 29 août 1852.
Cette lettre, composée par l’écrivain alors qu’il est en exil depuis peu sur l’île anglo-normande de Jersey, est composée de 3 pages in-18 et son contenu est décrit ainsi :
« Superbe lettre. Il parle de son livre Napoléon le Petit : « On me dit que Bonaparte, après avoir lu le livre à Saint-Cloud, est sorti de son cabinet tout blême ».
Suivent quelques détails sur Jersey : « De la côte on voit la France… Ah ! si vous veniez, et Madier et quelques autres, on ne verrait pas la France, on l’aurait ».
Ces courts extraits témoignent clairement de l’amitié entretenue par les deux hommes et de l’admiration portée par Hugo à Courmeaux qui, selon lui, incarne la France alors même que le bibliothécaire et député est en exil politique en Belgique de 1851 à 1853.
L’admiration d’Eugène Courmeaux se traduit par la rédaction d’un article biographique dont la bibliothèque Carnegie conserve le manuscrit (lire la version imprimé sur gallica.fr). Dans ce texte, composé peu de temps après la mort d’Hugo le 22 mai 1885 et de ses funérailles nationales, Eugène Courmeaux retrace les grandes étapes de la vie d’Hugo et de son œuvre tant littéraire que politique. Il termine son récit par un éloge des plus significatifs :
« En un mot peut-être Victor Hugo est-il le seul homme où l’on puisse trouver réunis à proportions égales l’immensité du cœur et l’immensité du génie. A des géants tels que lui, la France et l’humanité peuvent dresser des statues dans leurs Panthéons. De tels êtres dépassent de si haut le niveau ordinaire de l’espèce humaine qu’on ne peut qu’admirer en se demandant jusqu’où par exception elle peut atteindre ! »
D’un simple échange professionnel entre écrivain et bibliothécaire, les relations entre Hugo et Courmeaux ont donc évolué vers une admiration réciproque entre deux hommes dont le parcours se révèle similaire par leur opposition au Second Empire, leur exil les menant en Belgique puis dans d’autres pays européens, et enfin par leur engagement politique en tant qu’élus d’extrême-gauche sous la Troisième République.