Un trésor à la loupe :
la cathédrale Notre-Dame de Reims par Victor Hugo
Le sacre de Charles X en 1825 : une première visite de Reims par le jeune poète royaliste
Première venue de Victor Hugo à Reims
Le début des années 1820 marque une reconnaissance progressive du talent de Victor Hugo dans les milieux littéraires ainsi que par le pouvoir en place : l’écrivain reçoit en 1820 une gratification de cinq cents francs décernée par Louis XVIII, se distinguant ainsi comme un jeune poète royaliste aux côtés d’autres auteurs comme Alphonse Lamartine. Si Victor Hugo modère progressivement ses positions d’ultraroyaliste , cela ne l’empêche d’assister à un événement majeur pour les dernières années de la monarchie en France : le sacre de Charles X en 1825, qui sera le tout dernier sacre de l’histoire de France, à la cathédrale Notre-Dame de Reims.
La présence de Victor Hugo au sacre de Charles X est relatée dans diverses sources, dont la plus directe d’entre elles : la biographie de l’écrivain, Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, rédigée par son épouse Adèle lors de leur exil sur l’île anglo-normande de Jersey et publiée sans nom d’auteur en 1863. Ce récit comporte une forte dimension comique et s’amuse des mésaventures survenues lors du chemin depuis Paris, où Hugo a rejoint son ami Charles Nodier (1782-1844), poète, romancier et philologue, puis à son arrivée dans la Cité des Sacres.
Le trajet jusqu’à Reims est effectué par Victor Hugo et Charles Nodier en compagnie d’un certain M. de Cailleux et du peintre Jean Alaux dit le Romain (1786-1864). Les quatre hommes louent un grand fiacre et débutent agréablement leur trajet jusqu’à un épisode pour le moins humoristique rapporté par Hugo. Voyant des pièces émaillant le chemin pentu que les voyageurs doivent remonter à pied, le fiacre ne pouvant supporter le poids des quatre hommes, Nodier songe à une distribution de pièces par le souverain sur le chemin menant au sacre mais revient vite à la réalité : le bagage d’Hugo est troué et laisse s’échapper tout son argent ainsi que sa croix d’honneur. Lors du voyage, Hugo admire les décorations installées sur le parcours menant à la cité des Sacres :
« La route de Paris à Reims était sablée et ratissée comme une allée de parc ; de place en place, on avait fait des bancs de gazon sous les arbres. Diligences, calèches armoriées, coucous, carrioles, toutes les espèces de véhicules se hâtaient et donnaient au chemin l’animation bruyante d’une rue. »
Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie II, Hetel & Cie,éd. 1885, p.169 (Réserve Diancourt MM 2478)
Après quatre jours de trajet, la malchance poursuit les quatre compagnons à leur arrivée à Reims : ils ne trouvent en effet nulle part où se loger, les auberges et hôtels étant pris d’assaut à l’occasion du sacre. Fort heureusement, Nodier croise le directeur du Théâtre de Reims, qui parvient à les loger chez une des pensionnaires du théâtre, Mlle de Florville.
La suite de l’histoire se déroule plus paisiblement : le lendemain, Victor Hugo se rend à la cathédrale muni de son invitation et est conduit jusqu’à sa loge. Du cérémonial, il ne dit que quelques mots, mais se montre plus marqué par les décorations ornant la cathédrale et dont il se montre peu appréciateur :
« Un contrôleur, qui était un garde du corps, leur demanda leurs billets d’invitation et leur indiqua leur loge. La décoration recouvrait de carton peint la sévère architecture et découpait des ogives de papier sur trois rangs de galeries regorgeant de foule. Du haut en bas de la vaste nef, c’était un fourmillement d’hommes parés et de femmes éclatantes de dentelles et de pierreries. Malgré le carton et les enluminures, la cérémonie eut de la grandeur. Le trône, au bas duquel étaient les princes, puis les ambassadeurs, avait à sa gauche la chambre des députés et à sa droite la chambre des pairs. Les députés, vêtus gravement d’un habit de drap boutonné jusqu’au haut et qui avait pour unique ornement une broderie de soie verte au revers, contrastaient avec les pairs tout chamarrés, en habit de velours bleu ciel brodé, en manteau de velours bleu ciel semé de fleur de lys, en gilet de satin bleu, en bas de soie blancs, en souliers de velours noir à talons et à bouffettes, en chapeau à la Henri IV garni de plumes blanches et dont la coiffe était enroulée d’une torsade d’or. »
Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie II, Hetel & Cie,éd. 1885, p.171 (Réserve Diancourt MM 2478)
Si le récit du sacre retranscrit par Adèle Hugo près de trois décennies plus tard se distingue par cette distanciation amusée vis-à-vis d’un événement des plus solennels, il est intéressant de remarquer le décalage avec l’Ode au sacre de Charles X composée par le jeune poète peu de temps après avoir assisté au sacre. L’ode se fait passionnée et célèbre avec emphase ce renouveau de la monarchie française telle que l’incarne Charles X. La Cité des Sacres et sa cathédrale y occupent une place de choix.
Le jeune poète romantique qu’est Victor Hugo trouve donc en la cathédrale Notre-Dame de Reims une source parfaite d’inspiration : les références à l’Ange au Sourire, présent sur le portail nord de la façade occidentale, et aux roses de la façade occidentale et du transept en sont significatives. Cette ode reflète le goût naissant du poète pour l’architecture gothique, ici dissimulée derrière des décorations d’un goût discutable, et préfigure le rôle que jouera Victor Hugo dans le renouveau néogothique suite à la parution de Notre-Dame de Paris, en 1831.
Le Sacre de Charles X : Ode par Victor Hugo
Le Sacre de Charles X : Ode par Victor Hugo
« Naguère on avait vu les tyrans populaires,
Attaquant le passé comme un vieil ennemi,
Poursuivre, sous l’abri des granits séculaires,
Le trésor gardé par Remy.
Du pontife endormi profanant le front pâle,
De sa tunique épiscopale
Ils déchirèrent les lambeaux ;
Car ils bravaient la mort dans sa majesté sainte ;
Et les vieillards souvent s’écriaient pleins de crainte :
« Que leur ont donc fait les tombeaux ? »
[…]
Le vieux pays des Francs, parmi ses métropoles
Compte une église illustre, où venaient tous nos rois.
De ce pas triomphant dont tremblent les deux pôles,
S’humilier devant la Croix.
Le peuple en racontait cent prodiges antiques :
Ce temple a des voûtes gothiques,
Dont les saints aimaient les détours ;
Un séraphin veillait à ses portes fermées ;
Et les anges du ciel, quand passaient leurs armées,
Plantaient leurs drapeaux sur ses tours !
C’est là que pour la fête on dresse des trophées,
L’or, la moire, l’azur parent les noirs piliers
Comme un de ces palais que les riantes fées
Faisaient rêver aux chevaliers.
D’un trône et d’un autel les splendeurs s’y répondent ;
Des festons de flambeaux confondent
Leurs rayons purs dans le saint lieu ;
Le lys royal s’enlace aux arches tutélaires ;
Le soleil, à travers les vitraux circulaires,
Mêle aux fleurs des roses de feu ».