L’affaire de la Grande Jeannette
L’affaire de la Grande Jeannette ou Le massacre du moulin de Cuissat (1785)
L’affaire de la Grande Jeannette est un fait divers du 18e siècle qui a marqué les esprits et l’histoire de Reims. Ce crime odieux constitue en effet le dernier cas légal de torture en France et la Grande Jeannette sera la dernière personne pendue en public à Reims.
Sources
Iconographie
Biographie
Une nuit d’été sanglante
C’est dans la nuit du samedi 20 août au dimanche 21 août 1785 que se déroulent les faits, dans la maison du moulin de Cuissat située à Prouilly, village à trois lieues de Reims. Nicolas Destouches, sa femme et leurs trois enfants âgés de 5, 9 et 12 ans, sont assassinés à coups de marteau. Nicolas Reimbault, meunier employé par monsieur Destouches, et son ami Louis Poignard, garçon du moulin de la porte de Vesle, présents ce soir-là, ne sont pas épargnés. Seules les deux fillettes respirent encore et sont transportées à l’Hôtel-Dieu à Reims, où elles décèdent de leurs blessures quelques jours plus tard. L’une d’entre elles aurait déclaré au moment de sa trépanation : « Vous me faites mal comme Jean Gibon ! », orientant l’enquête vers un éventuel suspect.
Une enquête fructueuse
Une enquête est ouverte dès le 21 août 1785 par le procureur fiscal de Prouilly. De nombreux témoins sont entendus dès le lendemain et très vite, des contradictions dans certains témoignages permettent l’arrestation de trois suspects : Nicolas Dargent, ancien exploitant du moulin de Cuissat, Nicolas de la Haute Maison, employé comme pêcheur par Nicolas Destouches, et son frère Joseph. Le 5 septembre, le procès est transféré au Présidial de Reims (juridiction créée en mars 1551 par un édit d’Henri II). Trois autres suspects sont arrêtés entre septembre et octobre : Nicolas Niquete, autrefois meunier du moulin de Cuissat, Jean-Baptiste Neveux (surnommé Jean Gibon), cordonnier à Prouilly, et Jeanne Delozanne, dite “la Grande Jeannette” en raison de sa taille (1m80). Le procès est instruit en grande partie par Jean-Thierry Gaultier, à la fois conseiller du roi, lieutenant particulier et assesseur civil et criminel au bailliage du Vermandois. Les accusés sont enfermés à la prison de Belle-Tour à Reims (actuelle place Paul-Jamot) durant tout le procès.
Le moulin de la discorde : un mobile crapuleux
Le moulin de Cuissat semble être au cœur des motivations criminelles. En effet, Nicolas Niquete, Jeanne Delozanne et son époux Pierre Fauvet ainsi que Nicolas Dargent ont été exploitants du moulin avant Nicolas Destouches. Plusieurs procès sont d’ailleurs en cours entre celui-ci et les accusés. Le moulin de Cuissat, aujourd’hui disparu, appartient à la famille seigneuriale de Prouilly mais Nicolas Destouches est titulaire d’un bail emphytéotique1 de 99 ans, ayant pu susciter de la jalousie chez ses prédécesseurs. Plusieurs témoignages affirment que Nicolas Destouches a été menacé par certains des accusés peu de temps avant le massacre.
La question préalable
Nicolas Dargent, Nicolas de la Haute Maison et Nicolas Niquete sont condamnés à mort et sont soumis à “la question préalable” ou “question ordinaire et extraordinaire”, qui consiste à torturer un accusé déjà condamné à mort pour qu’il révèle ses complices. La question a été officiellement abolie en 1788. Ils donnent chacun leur version des faits et avouent leur culpabilité. Ils dénoncent également la Grande Jeannette, qui aurait participé au massacre et en serait même l’instigatrice. Tous les trois sont exécutés le 19 janvier 1786 place de la Couture (Place d’Erlon, au niveau de l’actuelle fontaine Subé). Jeanne Delozanne est elle aussi soumise à la question préalable et revient sans cesse sur ses déclarations, dénonçant la douleur qui la ferait avouer alors qu’elle est innocente. Elle est pendue le 11 février 1786. Après son exécution, son squelette fut conservé à l’Ecole de médecine de Reims. Jean-Baptiste Neveux et Joseph de la Haute Maison sont, eux, condamnés comme forçats sur les galères du roi à perpétuité.
Postérité
Postérité de cette affaire
Cette affaire a marqué les esprits au cours des siècles. En 1786, peu après l’exécution de la Grande Jeannette, un certain monsieur Hiraux, artiste modeleur rémois, représente en cire le massacre lors d’une exposition publique de figures de cire à Amiens.
Nicolas Noël, médecin et chirurgien rémois, achète en 1799 le terrain de l’ancien cimetière Saint-Pierre et y fonde une Ecole de médecine. Un jour, il s’amuse à attacher le squelette de la Grande Jeannette à la porte d’entrée, de telle sorte que le bras du squelette suit le mouvement de la porte, provoquant le malaise d’une jeune femme. À la suite de cet incident, le squelette est rapporté dans le cabinet d’anatomie.
En 1988, l'auteur et le metteur en scène Jean-Pierre Toublan adapte l’affaire en pièce de théâtre.
En 2019, une habitante de Prouilly passionnée d’histoire locale se demande ce qu’est devenu le crâne de la Grande Jeannette, qui jusqu’alors était conservé avec son squelette par l’école de médecine. Cette dernière a déménagé plusieurs fois et a finalement perdu la trace du squelette et du crâne.
Grâce à l’article paru dans l’Union le 21 mars 2019 sur la disparition du crâne, on retrouve sa trace dans un carton du Musée Le-Vergeur. Le crâne est brièvement exposé au public au mois d’octobre 2019 par le musée.