Cardinal Louis-Joseph Luçon (1842- 1930)
Portrait
Biographie
Un enfant précoce
Louis-Joseph Luçon naît en 1842 près d’Angers. Enfant chétif à la santé très fragile, il ne peut pas reprendre l’affaire de son père, modeste tisserand. Le curé de sa paroisse perçoit sa grande intelligence et lui apprend le latin. Le garçon gravit ensuite précocement chaque étape de ses études passant successivement par la prêtrise, le doctorat en théologie et en droit canon, la chapellenie de Saint-Louis des Français à Rome, l’archiprêtré, puis l’épiscopat.
Un fervent défenseur de l’Eglise
En 1905, le pape Pie X le nomme archevêque de Reims. Il arrive dans la ville en avril 1906 et séduit très vite les Rémois par sa bonté et sa simplicité. Il participe à la formation des prêtres, notamment en créant des séminaires. Cependant, en décembre 1906, en conséquence de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat votée un an plus tôt, il est expulsé du Palais du Tau par un régiment de cavalerie. En décembre 1907, Pie X le nomme cardinal. En 1909, dans un Etat récemment devenu laïc, l’Amicale des Instituteurs de la Marne attaque le cardinal en justice pour diffamation pour avoir fait publier une lettre accusant une dizaine de manuels scolaires d’empêcher la foi des enfants. Condamné à verser 500 francs d’amende en 1910, il bénéficie d’un non-lieu après la Première Guerre mondiale.
Un résistant rémois pendant la guerre
Au moment où la France entre en guerre, le cardinal, âgé de 72 ans, se rend au Vatican pour la désignation du successeur de Pie X. Il revient à Paris le 9 septembre 1914 mais ne parvient à pénétrer dans Reims que le 22 septembre. Il découvre alors sa cathédrale gravement touchée par les bombardements du 19 septembre. Dans un journal de guerre, il relate au jour le jour, entre autres sujets, ses visites aux sinistrés et aux soldats dans les cantonnements et les tranchées ainsi que la vie dans les caves de champagne . En 1917, c’est d’ailleurs dans une cave, - transformée en mairie provisoire -, que Raymond Poincaré lui remet la Légion d’Honneur. Le 25 mars 1918, il est contraint d’évacuer la ville en même temps que les derniers Rémois, dont le maire Jean-Baptiste Langlet avec lequel il se lie d’amitié. Il rentre enfin dans sa ville meurtrie le 14 octobre 1918.
Un acteur de la reconstruction
L’archevêque devient alors le conteur privilégié du martyre de Reims et reçoit les personnalités du monde entier venant proposer leur aide pour la reconstruction de la cité. Il se bat notamment pour la restauration de sa cathédrale et réorganise son diocèse afin de faire rebâtir les églises et revivre les œuvres diocésaines. En 1922, il est promu en tant qu’officier de la Légion d’Honneur. Le Cardinal s’éteint le 28 mai 1930. Ses obsèques se déroulent le 3 juin suivant sous les yeux de nombreux dignitaires politiques, militaires et ecclésiastiques.
Journal de la guerre 1914-1918 - Cardinal Luçon
Extrait du Journal de la guerre 1914-1918 du Cardinal Luçon (R M 865)
Mercredi 23 septembre 1914
"Dans la matinée, un peu de calme ; canonnade française, pas de bombes. Je vais avec M. Camus et M. Landrieux visiter la Cathédrale, incendiée le 19. Le pavé est encore couvert par endroits de paille brûlée. Un monceau de stalagmites de plomb de la toiture, filtre à travers les voûtes, au bas de l’escalier de la chaire. Nous visitons les quartiers bombardés ; et détruits par un incendie qui les 18 et 19 avait couvert 18 hectares d’immeuble bâtis, dont 14 d’un seul tenant au chevet de la Cathédrale. C’était le quartier de l’industrie lainière ; puis Place Royale, rue Saint-Jacques, etc. Sœurs de l’Espérance, rue Chanzy. Après-midi je reçois quelques visites ; mais la canonnade se fait si violente à partir de 4 h. qu’on ne peut sortir. Au jardin nous écoutons pendant 1 h. C’était effroyable, un vacarme d’enfer. on dit que nos soldats ont reçu l’ordre de reprendre Brimont. Nous rentrons à 9 h 1/2. La canonnade continue terrible, toute la nuit, avec un assez grand nombre de bombes, sur la ville, croit-on."
Extrait de L'Illustration du 19 février 1916
BM Reims, Demaison Portraits d'Archevêques III 60
Extrait de L'Illustration du 23 juin 1917
BM Reims, Demaison Histoire XIII 34
Lundi 16 avril 1917
"[...] A 6h, activité d'artillerie qui nous a fait croire au déclenchement de l'offensive annoncée pour le printemps. Des bombes sifflent. [...] De 3h à 4h1/2, Bombardement de la Cathédrale pendant 1 heure 1/2 avec des obus de gros calibre. Une vingtaine d'obus ont été lancés sur elle. Le 1er tomba à moitié chemin du canal; le second se rapprocha de 200 mètres ; le 3ème d'autant ; le 4ème et les suivants tombèrent sur la Cathédrale ou dans les rues adjacentes, sur le parvis. Les canons allemands lancèrent un obus par chaque cinq minutes environ ; le temps de remplacer l'obus lancé par un autre obus. Un homme a la jambe coupée par un obus dans sa cave, rue du Cloître. L'abside de la Cathédrale est massacrée. 13 obus au moins l'ont touchée. Les rues sont jonchées de zinc ou de blocs de plomb fondu projetés par les obus tombés sur les voûtes. Tout le monde se terre dans les caves. En nous apercevant, M. Sainsaulieu vient à nous ; la terreur règne dans la ville : on dirait la fin du monde. Sept à neuf grands cratères sont creusés dans les rues et sur la place du parvis creusés par la chute des projectiles."