Reims au temps du confinement
Reims pendant le confinement
La grande collecte de la bibliothèque municipale de Reims
Ce plaisir qui nous « met les poils » – Chronique du 27 avril 2020
Bonjour-bonjour,
Un souci de chacun durant cette période, c’est d’éprouver un plaisir sans fin qui nous ferait oublier la contrainte du confinement.
Certains vous diront : « Le confinement ? Moi, j’aime » ; et après vous avoir asséné cette affirmation désespérante (= désespérante pour vous, qui n’appréciez pas du tout) ils vous expliquent (par exemple) qu’ils gardent toujours la même émotion en lisant ou en écoutant de la musique ; et même n faisant du ménage ou la vaisselle ? Pourquoi pas ?
Vous allez penser que ce sont des menteurs, que le plaisir est forcément lié à la nouveauté, que c’est « toujours mieux la première fois » et que confinés comme nous le sommes, nous sommes au contraire condamnés à la répétition, forcément ennuyeuse ?
Peut-être (?) mais pas forcément. Car il y a une forme de plaisir qui peut se répéter indéfiniment, toujours avec la même charge émotionnelle. Je veux parler de ces émotions carrément physiologiques suscitées sans aucune participation intellectuelle comme par exemple avec la musique (je ne parle pas des réactions physiologiques charnelles dont un connait le circuit par coeur) lorsqu’un passage vous émeut immédiatement, vous donne la chair de poule – vous « met les poils » comme on dit aujourd’hui.
Vous voyez cette image ? C’est cela que je veux dire.
Les compositeurs connaissent forcément très bien cette forme de plaisir inusable et ils s’en servent dans la forme de leurs compositions musicales. On pense immédiatement aux refrains dans les chansons : il ne s’agit pas seulement de revenir par des paroles déjà connues sur le rythme du conte, mais aussi de réactiver l’émotion déjà éprouvée à la reprise du leitmotiv. Les compositeurs classiques en usent aussi et je dirai qu’il y a même dans la forme classique, outre les variations, des réexpositions du thème qui s’expliquent par ce jeu avec l’attente de l’auditeur, retour précédé par une ritournelle qui n’a pour effet d’aiguiser l’impatience : « Vite que ça revienne ! »
Ceux qui voudraient en avoir une illustration pourraient écouter le trio opus 100 de Schubert, en particulier le second mouvement resté dans toutes les mémoires par l’usage qu’en a fait Stanley Kubrick dans Barry Lyndon (c’est à écouter et à voir ici).
Restez confiné encore un mois avec Schubert vous ne vous en lasserez pas. Mais si d’aventure ça se produisait, il y a encore une autre forme de plaisir musical inusable : c’est celui de l’attente impatiente d’une réjouissance. Certains vont chercher ça dans les gâteaux au chocolat : « Vivement 4 heures que le moelleux de maman soit cuit ! » Mais à ce rythme vous ne passerez plus par la porte quand il faudra sortir lors du déconfinement ! Là encore tournez-vous vers la musique et écoutez le concerto pour violon de ce farceur de Beethoven.
Ce petit malin vous fait languir dans l’attente du nouveau thème au début du dernier mouvement du concerto pour violon : combien de fois vous fait-il croire que ça va partir et puis, pfuittt ! rien ne se passe, jusqu’au coup d’archet décisif qui lance le thème du rondo final. Vous pouvez réécouter tant que vous voudrez ce concerto, vous allez toujours trépigner d’impatience.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel
Journal d’un vieux confiné – 31 mars 2020
Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.
Bonjour-Bonjour
Je voudrais évoquer le sentiment d’étrangeté qui se développe lorsque, après s’être signé à soi-même une autorisation de sortie, on se retrouve dans la rue, dans son quartier, un peu comme dans un pays inconnu, un peu comme dans un rêve.
Oui, ces avenues sans âme qui vive mènent à un monde inconnu, où aucune activité n’est possible. Ni le fait d’aller d’un point à un autre, puisqu’il ne nousest pas permis d’entrer où que ce soit – à part dans notre propre maison. Ni le fait de rencontrer qui que ce soit, puisque les rares piétons que nous croisons s’écartent au maximum de nous (qui en faisons autant). Ni bien sûr entrer dans ces commerces fermés dont les passants ne fréquentent plus les abords.
- Je me rappelle l’époque (années 80) où la mode était aux films post-apocalypse. On se retrouvait en ville, avec les avenues immenses, filmées au ras du bitume, désespérément vides, avec, trace du temps qui passe, de l’herbe qui pousse entre les pavés des trottoirs. Oh ! bien sûr on n’a pas affaire ici à l’apocalypse habituelle, avec ses déflagrations nucléaires ses bombardements de météorites, ses déluges de feu aux quels la Bible nous a préparés. Non, rien de tout cela : il s’agit d’une apocalypse tranquille.
Si l’étrangeté nous saisit, c’est d’abord parce que nous sommes seuls là où une vie grouillante d’humains se répand habituellement. Supposez que vous soyez à la campagne, sauf si les vaches s’arrêtaient de meugler dans le lointain et les chiens d’aboyer dans les cours de fermes, vous n’auriez pas ce sentiment, parce que la solitude dans la nature est habituelle.
En réalité, c’est parce que le quartier que nous traversons est fait pour la présence d’êtres humains, pour leur permettre d’aller quelque part, de se rencontrer ou de se procurer ce dont ils ont besoin. L’apocalypse dont nous parlons résulte de la déconnexion de ce monde par rapport à l’humain. Supposez que vous soyez sur Mars : le paysage, avec ses cailloux jonchant le sol, est comme ça depuis des milliards d’années. Rien ni personne ne peut en avoir disposés les pierres, ni déplacées, ni arrangées. Eh bien, on ressent dans ces sorties « confinées » un peu comme si en effet le quartier allait rester comme ça durant des millénaires.
La solitude n’est pas seulement l’absence de l’homme ; elle est aussi imprimée dans le paysage. On pense au livre de Michel Tournier Vendredi ou les limbes du Pacific, où Robinson se trouve en déperdition de son être du fait qu’aucun regard autre que le sien ne peut percevoir les paysages de Speranza, l’ile déserte où il a échoué.Cette expérience de la solitude que nous procure notre monde confiné est une expérience ontologique qui dépeint notre être-au-monde.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel
Ce plaisir qui nous « met les poils » – Chronique du 27 avril 2020
Bonjour-bonjour,
Au lieu de vous demander « Qu’est-ce qu'on fera illico dès que de déconfiné », demandons-nous « Qu’est qu’on continuera de faire comme les jours d’avant, comme si de rien n'était ? »
Vous considérez peut-être que c’est là une question oiseuse, qu’elle consiste à prendre le contrepied de l’opinion, juste pour se rendre intéressant ?
Peut-être – mais peut-être pas, si c’est l’occasion de voir et de comprendre ce qui nous aurait échappé autrement. Et puis, réfléchir à ce qui va à rebrousse-poil des opinions, c’est suivre ce précepte de la sagesse médiévale : « Pour néant pense qui ne contre pense ».
Contre-pensons donc.
1 – D’abord, le 12 mai j’aurai encore peur du virus qui rôdera toujours dans les parages. J’en serai donc toujours à éviter les attroupements et, derrière mon masque, je continuerai de surveiller mes contemporains, des fois qu’ils éternuent un peu trop fort.
2 – Et puis encore ? Pourquoi renoncer au « farniente vertueux » ? Je veux dire que depuis le 17 mars j’ai accepté l’idée que ne rien faire n’est pas un vice mais une vertu. Rester chez moi, ne pas réaliser les démarches qui nécessiteraient des déplacements et la rencontre de gens éventuellement désagréables, ce n’était pas une lâcheté mais au contraire une manière de me protéger, moi et mon voisinage – vice hier, réserve honorable demain.
3 – Et encore ? Ai-je entamé une introspection qui scrute mon ego profond et qui, de proche en proche, s’est enfoncée loin dans ses racines sans toutefois en arriver aux ultimes radicelles qu’il faudrait encore examiner ? Rappelons-nous Descartes qui ouvre ainsi son Discours de la méthode : « J'étais alors en Allemagne, où l'occasion des guerres qui n'y sont pas encore finies m'avait appelé́ ; … le commencement de l'hiver m'arrêta en un quartier où, ne trouvant aucune conversation qui me divertit, et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucuns soins ni passions qui me troublassent, je demeurais tout le jour enfermé seul dans un poêle, où j'avais tout le loisir de m'entretenir de mes pensées». A supposer que le printemps soit arrivé avant qu'il ait fini d’examiner les racines de la vérité, croyez-vous qu’il se serait déconfiné, qu’il aurait quitté son « poêle » ? Non, il aurait dit que sa retraite n’était pas terminée et qu’il devait la prolonger jusqu’à ce qu’il jugeât qu’il était temps d’en finir.
4 – Et puis, plus simplement, il y a peut-être des habitudes que vous avez eu le temps de contracter, comme l’apéro virtuel relié à vos amis par visio-conférence et que vous souhaitez prolonger au-delà de la lutte anti-covid ? Peut-être ce procédé qui assure une distanciation amicale (je dis bien « amicale » pas « sociale ») rendrait les échanges plus réfléchis, plus pondérés et donc finalement plus authentiques ?
Qu’il faille en passer par là pour toucher à l’authenticité, voilà une leçon qu’il ne faudrait pas oublier, si du moins elle s’était manifestée.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel
Chronique du Corona Virus : Le monde d'après
Par Didier MARTZ, Le mercredi 10 juin 2020.
Où comment une plante nommée saxifrage peut nous éclairer sur le monde à venir...
Il est beaucoup question du monde d'après, du monde d'après la « crise » épidémique. Certains y voient beaucoup de potentialités pour un autre monde, d'autres au contraire pensent que tout sera comme avant sauf dans quelques marges. Le poids des habitudes ou encore ce qu'on appelle un peu facilement le « système » ou encore la « société » sont des obstacles et des résistances à toutes formes de changement. Pour donner un peu d'espoir à ceux qui aimerait quitter un monde « anormal » pour un monde normal, prenons l'exemple de la ou le saxifrage.
N'avez-vous jamais été surpris et étonné par cette plante qui pousse au milieu d'une paroi de béton défiant toutes les lois de la botanique ? De cette autre qui grandit, moqueuse, au beau milieu de l'autoroute ? Ou encore jouant des coudes pour se frayer un chemin entre deux pavés. Réjoui, on se dira que la nature reprend ses droits... une bien maigre consolation écologique et... maussade, on l'arrachera violemment comme agent provocateur de la modernité bétonnée
J'ai appris que cette plante s'appelait une ou un saxifrage, passe-pierre ou perce-pierre, le mot étant formé sur le latin saxifraga, composé de saxum, le rocher et de frangere, briser. Elle est le désespoir des ravaleurs de façades qui voient apparaître au beau milieu d'un crépi crème tout neuf, une jolie herbacée verte et rieuse. Mais surtout, elle pousse la pierre, cherche les failles. Têtue, elle résiste aux intempéries et profite du vent pour disséminer un peu partout. Un botaniste allemand utilisait le terme « rupicole » pour qualifier ces plantes établies sur la roche nue en ajoutant qu'elles étaient... pionnières. Je souligne.
Ce que nous dit la saxifrage est que, même dans les contraintes bétonnées les plus dures et inébranlables, il y a toujours une brèche et un commencement possible. Une irruption. C'est vrai pour la plante, c'est vrai pour l'homme. Mais ce n'est pas facile. Un grand combat est livré quotidiennement contre la fraîcheur téméraire. Il commence tôt dans la journée. Nombreux, ils arrivent avec des camions, camionnettes et autres gyrophares. En combinaisons, casqués et armés. L'ennemi a plusieurs faces : l'hiver la neige; l'été, toujours plus foisonnant, les haies, les mauvaises herbes, la poussière, la fleur séchée des tilleuls ; l'automne, soufflées par l'expirateur, les feuilles mortes qui ne se ramassent plus à la pelle. Les deux escargots de Jacques Prévert rateront l'enterrement. Pour les haies de tuyas, on ne veut voir qu'une seule tête ; on chasse les poussières insidieuses des caniveaux ; on balaye les rues. Oui, au XXIème siècle on balaye les rues, paillassons pour pneus de voiture... on en rêve sur les trottoirs de Manille ou de Bamako. Le pire sont les herbes mauvaises qui affrontent effrontées le béton et le macadam : la saxifrage désobligeante, contrevenante et débordante . Elle perce et casse les pierres, fait des brèches dans les systèmes établis. Elle peut pousser même sur des murs conservateurs, nus et lisses pour y imprimer une marque nouvelle.
S'inspirant de Saint Augustin, l'être humain nous dit Hannah Arendt est toujours un commencement. Il est capable de créer de l'inédit, de faire advenir de l'improbable y compris en politique dont on rappellera qu'elle est la conduite des affaires humaines pour leur bien. La même Hannah Arendt écrivait dans La crise de la culture que « les chances étaient fortes pour qu’aucune terre ne surgît jamais des événements cosmiques, qu’aucune vie ne se développât à partir des processus inorganiques et qu’aucun homme n’émergeât de la vie animale ». Et pourtant l'improbable s'est produit.. Sur le mur de béton lavé, épuré, la saxifrage n'en finit pas d'émerger et toujours repousse. Elle porte vers l'après.
Extrait du blog Cyberphilo.org rédigé par Didier Martz
Un 1er mai sans manif’ ni muguet ? – Chronique du 1er mai
Le calendrier ne nous trompe pas : nous sommes bien le jour de la fête du travail et de la cueillette du muguet. Et pourtant ce jour est inexorablement identique aux jours précédents, au point que le muguet restera à se faner dans les bois et que les rues resteront aussi désertes que d’habitude : la Grande Manif’ des travailleurs, n’y pensons plus.
Le trouble qui nous saisit alors devant cette banalisation des jours qui se suivent et se ressemblent, au point que chacun se superpose aux précédent aussi exactement que deux feuilles de papier vierges, nous montre que le temps n’est pas seulement une durée structurée par notre cerveau et découpé selon des habitudes, des souvenirs et des attentes.
Le temps est aussi structuré par des représentations collectives, propres à telle ou telle société, qui informent le rapport au temps des individus – bref il est ce qu’on appelle un « temps social », qui est objet de représentations collectives.
Ça parait bien compliqué dit comme ça, mais c’est le fait d’expériences vécues fort simplement. De même que Monsieur Jourdain découvrait avec étonnement qu’il parlait sans le savoir en prose, nous ressentons sans y penser la durée selon les occupations qui nous paraissent naturelles tant elles sont collectives, comme les vacances, les fêtes ou les moments spécifiques au travail. Il est en effet évident que nous attendons et ressentons l’écoulement du temps comme scandé par le calendrier de notre société, au point que nous n’imaginerions pas sans effroi une semaine de 7 jours de travail ou un 1er mai sans promenade dans les bois et que nous n’y mettions pas les pieds nous - mêmes n’y change rien, puisque ce qui compte, c’est la représentation du temps et non notre activité propre. Après tout, que je n’aille pas moi - même cueillir du muguet ne change rien au fait que je trouve normal que les bois soient plein de gens qui le fassent, au point que je sache que nous sommes le 1er mai parce que j’imagine que ça se passe comme ça.
- Si depuis un mois et demi beaucoup dissertent sur la psychologie du renfermement et sur les troubles de la perception de la durée qu’elle implique, je n’ai trouvé personne qui s’émeuve du bouleversement que produit l’effacement des cadres sociaux du temps. Car voilà le problème : ces cadres ne sont pas simplement modifiés ou déplacés. Ils sont carrément éradiqués. On ne pourrait comparer ce phénomène qu’à celui des vacances si ces dernières ne mettaient en place des habitudes collectives nouvelles et spécifiques à ce moment, comme le « bbq-rosé » ou l’apéro du soir. Il est vrai qu’on voit aujourd’hui des gens qui s’efforcent de réactiver de telles habitudes, mais le collectif manque et l’usage de Skype n’y change rien.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel
Journal d’un vieux confiné – 6 avril 2020
Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.
Bonjour-Bonjour
Chaque soir, à 20 heures, nos voisins et nous-mêmes, tous habitants de maisonsindividuelles dans une rue très calme, nous sortons sur le pas de notre porte pour applaudir tous ceux qui sont en première ligne face à l’épidémie, chercheurs, soignants, forces de sécurité et – ne les oublions pas – les caissières de nos supermarchés. Car que serions-nous sans elles, sans tous ces travailleurs que nous ne voyons pas mais qui, en amont, permettent à nos réfrigérateurs de se remplir ? Déjà stressés et angoissés par les affreuses nouvelles qui nous viennent chaque soir avec le point-presse du professeur Salomon, comment pourrions-nous supporter de voir nos réserves s’amenuiser et disparaitre, ajoutant ainsi à nos inquiétudes le sentiment de soutenir un siège ?
Reste que ce « rendez-vous » des confinés de 20 heures est aussi un moyen de sortir brièvement de l’isolement. Déjà, prendre sa place dans le concert des gens qui manifestent leur encouragement à ceux de la 1ère ligne : il y a celui qu’on ne voit pas de chez nous mais qui déclenchent une sirène à 20 h pétantes ; et puis notre voisine qui durant tous les « bravos » tape sur sa casserole pour soutenir les applaudissements – Parfois elle qui se fatigue moins que nous fait durer un peu trop nos acclamations, imitant ainsi les minutes de silence qui dureraient plus que quelques secondes. Et puis selon sa place dans l'alignement des maisons former un groupe d'"applaudisseurs".
Car voyez-vous, il y a surtout après cela, les conversations qui s’amorcent entre voisins, sevrés d'échanges directs que le téléphone ne peut remplacer. Oui, nous avons besoin des autres ne serait-ce que pour parler. Nous sommes dans ce confinement un peu comme Robinson sur son île.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel
Applaudir le corps médical : oui, mais pourquoi lui faisons-nous confiance ? – Chronique du 4 juin 2020
Bonjour-bonjour,
Hier (3 juin) à 19 heures, BFM diffuse un entretien de Ruth Elkrief avec le professeur Raoult : me souvenant de son éclair de lucidité du 27 mai (cf. ici), je m’installe devant ma télé en espérant retrouver les mêmes lumières.
Bien m’en a pris : ce ne fut pas un éclair mais bien des fulgurations durant une heure entière !
Certes, ça a commencé par des remarques acerbes à l’encontre des journalistes venues l’interviewer. On se dit « Raoult mélanchonise, s’il continue je me casse ! » Et puis on se rend compte que c’est tout autre chose qui se passe. Au lieu d’insulter bassement les intervieweuses, il leur explique qu’elles et lui vivent dans des écosystèmes de connaissance différents : la connaissance pour elles résulte des médiations dont elles ont besoin pour comprendre (« médiation », c’est-à-dire des informations reçues de l’extérieur nécessaires pour connaitre ce qui arrive avec cette pandémie) ; quant à lui, il opère de l’intérieur en procédant par découvertes scientifiques. Du coup il y a des connaissances auxquelles elles n’ont pas accès et donc la seule possibilité pour elle est de l’écouter avec attention sans l’interrompre sottement.
Deux observations :
- Répétons-le, quand le professeur dit que ses interlocutrices ont besoin de médiations, il ne parle pas des médias genre BFM ou CNews : il parle des explications savantes sans lesquelles elles n’auraient pas accès à la connaissance.
- Notez ensuite que ce faisant Raoult est presque explicitement dans le contexte spinoziste (1). Selon Spinoza il y a en effet 3 genres de connaissance qu’on peut définir ainsi : 1° les connaissances par ouï-dire ; 2° les connaissances rationnelles ; 3° les connaissances intuitives. Dans le premier cas il faut une intervention extérieure pour accéder au vrai. Du coup la vérité n’est garantie que par l’autorité de la source. Dans le second cas, l’esprit accède à la connaissance par la réflexion et par le raisonnement : la vérité résulte alors de la rigueur avec laquelle l’esprit a par lui-même opéré cette recherche (2). Le troisième genre de connaissance procède par intuition : nous n’en parlerons pas ici. Les journalistes sont dans le 1er cas ; le professeur dans le second. Voilà pourquoi il répète sans cesse « Vos questions n’ont de sens que dans votre écosystème, pas dans le mien qui est celui de la vérité scientifique. »
- Et alors, l’essentiel vient maintenait : Ruth Elkref qui a bien compris l’enjeu pose au Professeur la question suivante : « Que pensez-vous du confinement : était-il utile ? Car c’est à vous, professeur, membre des sociétés savantes, de le dire. » Raoult se fait humble : « Les politiques ont à gérer les réactions passionnelles du peuple. Même si le confinement n’était pas médicalement indispensable, calmer les terreurs et empêcher les émeutes était indispensable et c’est aux politiques de dire si c’était là qu’était la solution. » Autrement dit, le politique est confronté aux passions populaires, pas le savant.
- « Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose, il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes » disait Pascal – Pensées Fragment n° 745. Après Spinoza, Pascal ! On a bien raison de dire que les Gilets jaunes devraient aller se chercher un nouveau leader ailleurs.
(1) Alors, je sais bien que l’habitude aujourd’hui est de faire référence à Spinoza comme on fait sortir des lapins d’un chapeau : que ce soit pour les passions joyeuses ou pour les théories des sentiments, tout le monde est spinoziste : on aura compris qu'il s'agit d'un tout autre pan de la pensée spinoziste dont il s'agit ici.
(2) Pour illustrer le premier genre de connaissance, Spinoza fait appel à l’exemple de la règle de la 4ème proportionnelle : le marchant qui calcule le montant de ses achats applique la règle de 3 sans savoir exactement pourquoi – il sait simplement que c’est ça qu’il convient de faire parce qu’on lui a appris à respecter cette règle. Dans le second genre de connaissance, on fait d’abord appel à la compréhension de la règle avant de l’appliquer.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel
Chronique du Corona Virus : Je ne suis pas un héros...
Par Didier MARTZ, Le mercredi 17 juin 2020.
Où ce qu'il en coûte de ne pas rester là où on nous a placés...
Je vous propose une réflexion qui paraîtra sans doute dépassée eu égard au rythme auquel va ce qu'on appelle l'actualité. En effet, vous l'avez noté, une actualité dépasse l'autre à la vitesse de la lumière et par conséquent recule dans le temps. A cette vitesse un fait qui s'est passé objectivement hier se met à dater de plusieurs années dans les consciences. Ainsi de ce moment, en pleine crise, où des individus ont été promus au rang de héros, en l'occurrence les soignants. Elargissons aux aides-soignants et plus encore à tous ceux qui ont participé au combat en nettoyant et désinfectant le champ de bataille. On dira plutôt, celles qui ont participé au combat car ce sont en majorité des femmes surtout au bas de l'échelle.
Bref, toutes ces personnes dont on se préoccupait peu jusqu'à alors rassemblées sous l’appellation personnel hospitalier changent de statut et deviennent des héros. C'est qu'à ce moment-là nous sommes en guerre contre un virus et ces dits personnels sont mobilisés. Comme des soldats ils montent au front, en première ligne, s'exposent au feu de l'ennemi. Le plus souvent sans armes, sans blouses, ni masques, ni gants. Mais c'est justement ce dénuement qui fait que leur comportement puisse devenir exemplaire et héroïque. Avec le dénuement, le danger et les risques aussi. N'est pas héros qui veut, il faut que les conditions soient remplies. Et il faut remplir les conditions qui font d'un individu un héros : du dévouement, du courage, de l'abnégation. Comme en 14, nous eûmes alors nos héros, célébrés comme il se doit : casseroles loquaces, applaudissements nourris, balcons peuplés et fenêtres écloses. Il est 20 heures.
Mais voilà que comme Balavoine en 1980 ces personnels héroïques crient « nous ne sommes pas des héros, nous faisons juste notre travail ». Daniel Balavoine le chantait en 1980 dans un album au titre prémonitoire : « un autre monde. » « Je n' suis pas un héros » sans doute pour prévenir les déboires qui suivent une trop rapide ascension au sommet de la gloire. Il ajoutait : « il ne faut pas croire les journaux » qui montent les faits et les individus en épingle et qui du jour au lendemain les laisse choir. 40 ans après Balavoine, en 2020, des gens crient nous ne sommes pas des héros, nous ne faisons que notre travail. Et pour faire notre travail, il nous faut des moyens humains et financiers.
Et c'est là que le bât blesse car un héros doit rester en dehors du commun pour être reconnu comme tel. Par ses actes, il incarne des valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons. La vie en effet offre peu d'occasions à l'individu lambda de se comporter en héros et peu de possibilités de sortir un quidam de l'eau ou des flammes ou de sauver une fillette au balcon du 4ème. Aussi le héros doit avoir quelque chose d'autre ou fait quelque chose d'autre qui ne permette pas de l'assimiler à l'homme ou la femme ordinaire si l'on veut s'y identifier.
Le héros est un être transcendant. Revenir sur terre, demander des moyens, des blouses et des masques, c'est trop trivial. Comme le dit René Girard, le désir fantasmatique d'être l'Autre, d'être comme lui s'éteint dans la banalité. L'illusion selon laquelle le héros pouvait renvoyer à une sorte de transcendance disparaît dans le commun. Le héros c'est celui qui n'est ni trop proche, ni trop loin. Trop proche il est comme nous, ordinaire ; trop loin il est Dieu, inaccessible. Comme Ulysse, le héros grec n'est ni Dieu, ni vraiment homme. Enfant, après avoir lu ses aventures, je pouvais jouer à être Zorro, à faire comme si j'étais lui sans l'être jamais vraiment. Etre hors du commun est une position difficile à tenir surtout lorsque Zorro descend de son cheval pour aller travailler, défiler dans les rues pour demander des moyens supplémentaires, bref pour s'occuper du politiquement trivial.
Alors, privés de leurs héros, les casseroles déçues se taisent, les applaudissements dépités s'apaisent, les fenêtres désappointées se ferment, les balcons frustrés désertent. Le couvercle de l'extra-ordinaire se referme. Ainsi va le monde...
Extrait du blog Cyberphilo.org rédigé par Didier Martz
Journal d’un vieux confiné – 3 avril 2020
Devant la banalité des infos et durant toute la période de confinement, je remplacerai mes commentaires par ce journal.
Bonjour-Bonjour
J’imagine, lorsque la consigne de la distance minimum entre 2 personnes a été imaginée (et fixée à 1 mètre), qu’on s’est sérieusement creusé la tête dans les salles de rédaction :
«- Dis donc, comment on va appeler ça ?
- Espace interpersonnel ?
- Mais non ! Les gens vont croire qu’on veut s’en prendre à leur empathie pour les pauvres.
- Bon, alors disons « distance sociale »
- Oui, c’est mieux, mais ça a un air de statistique sociologique.
- Et si on disait : « distanciation sociale » ?
- Oui ! C’est ça qu’il faut choisir, ça va marcher !
- Tu n’as pas peur qu’on confonde avec le théâtre de Brecht ?
- « Brecht » ? De qui tu parles, là ?»
o-o-o
Petit rappel :
Au théâtre, la distanciation est un principe lié au départ à la dramaturgie de Bertolt Brecht. Se positionnant à l'inverse du théâtre aristotélicien, le théâtre épique se fonde, selon Brecht, sur l'effet de distanciation (en allemand Verfremdungseffekt). S'opposant à l'identification de l'acteur à son personnage, la distanciation produit un effet d'étrangeté par divers procédés de recul, comme l'adresse au spectateur, le jeu des acteurs depuis le public, la fable épique, la référence directe à un problème social, les songes, les changements à vue, etc. Ces procédés visent à rompre le pacte tacite de croyance en ce qu'il voit. Art. Wiki ici
On remarquera que si cette dénomination est bien compliquée pour désigner quelque chose de fort simple, elle est quand même utile pour attirer l’attention sur le fait que les relations sociales les plus évidentes, comme le fait d’être ensemble dans le même lieu, se trouvent abolies. Si la distanciation selon Brecht se caractérise par une perturbation de l’attente et une sensation d’étrangeté, on doit avouer que ça se retrouve dans la distanciation sociale actuelle.
Cette sensation de bizarrerie qui nous prend dans ces rues vides lorsque surgit la peur de croiser mon voisin devenu plus dangereux pour moi que le chien errant.
Extrait du blog Le point du jour rédigé par Jean Pierre Hamel