Focus sur la Porte de Mars
texte : Service patrimoine de la ville de Reims
La Porte de Mars
Reims à l'époque gallo-romaine
Les Rèmes, un peuple belge
Au Ier siècle avant J.-C. la Gaule est divisée en deux entités distinctes : le sud sous domination romaine depuis 121 avant J.-C. et le nord peuplé de nations gauloises. Les Rèmes contrôlent un espace allant de la Marne à la source de l’Oise, des bords du Tardenois à l’Argonne et aux Ardennes. Des oppida (places fortes, centres d’artisanat et d’échanges) ponctuent leur territoire dont Durocorter (Reims) au croisement de voies de circulation.
Le choix de Rome
En 58 avant notre ère Jules César débute la conquête du reste de la Gaule (actuels France du nord, Belgique, Luxembourg et une partie de la Suisse, des Pays-Bas et de l’Allemagne). En 57, les nations belges s’allient contre lui, à l’exception des Rèmes et des Éduens. Au terme de sanglantes opérations militaires, Rome étend son pouvoir sur l’ensemble de la Gaule.
En reconnaissance de la fidélité des Rèmes, César élève leur cité au rang de cité fédérée (indépendante). Sous Auguste, à la fin du Ier siècle avant notre ère, Durocortorum (nom romanisé) devient capitale de la Gaule Belgique.
Durocortorum, capitale de province
Ce nouveau statut entraîne une transformation de grande ampleur comparable à une refondation urbaine. Une nouvelle ville est dessinée, s’étendant sur 600 ha, et délimitée par une enceinte. Cette superficie semble démesurée pour une ville gallo-romaine mais les nombreuses fouilles archéologiques prouvent qu’au moins 450 ha ont été occupés. Durocortorum devient ainsi la plus grande ville de la Gaule romaine et se place parmi les plus importantes de l’empire romain.
Une ville romanisée
Le décorum urbain occupe une place prépondérante dans la culture romaine, à l’exemple de Rome, dont s’inspirent les villes des provinces. Durocortorum, capitale, doit exprimer sa puissance par sa parure monumentale.
Un projet d’embellissement
Dès la première moitié du IIe siècle, les édiles entreprennent une campagne de travaux et la ville est dotée d’équipements dignes d’un grand centre urbain (rues empierrées, portiques, distribution d’eau courante,…).
Dans ce projet d’embellissement, le centre est ensuite encadré, fin IIe – début IIIe siècle, par quatre arcs. Cette composition est rare voire inédite dans l’urbanisme romain et met en scène le pouvoir (institutions politiques et juridiques). Ces arcs sont particulièrement visibles car enjambant les axes principaux de la ville organisée selon un système orthogonal qui trouve son origine au carrefour de ces deux voies (cardo et decumanus) qui se croisent au niveau du forum.
De cet ensemble, seules subsistent la Porte de Mars située sur le cardo maximus au nord et une pile de la Porte Bazée, au sud. En 2008, le cardo a été étudié à proximité de la porte lors des fouilles archéologiques préalables à la réalisation du tramway. Cet axe majeur présentait deux états successifs avec un élargissement de la surface de circulation portée à 30 mètres environ, en cohérence avec les dimensions de la porte. La bande de roulement (creusée d’ornières de 30 cm de profondeur, uniquement au niveau de l’arcade centrale) a été observée à deux reprises, durant la Seconde Guerre mondiale, par l’archéologue allemand Kœthe et lors des fouilles menées en 2013. Ces dernières ont aussi révélé un égout, parallèle à la porte, côté sud, et qui pouvait servir à l’évacuation des eaux de couverture du monument.
La présence d’arcs sur le decumanus (rue est-ouest) se pose. En 2008, les fouilles ont mis au jour, place Myron Herrick, des massifs de fondation comparables aux deux arcs préservés. Cette investigation a redonné crédit à une observation du XVIIIe siècle, concernant les restes d’un arc antique à l’intersection des rues Cérès et Ponsardin.
Un arc exceptionnel
Un arc exceptionnel
Hommage à la pax romana
Les arcs rémois peuvent-ils être considérés comme des arcs de triomphe ? Dans l’antiquité romaine, un arc de triomphe est élevé en l’honneur d’un personnage important ou en mémoire d’évènement glorieux. Or à Reims, pas de dédicace connue, pas de célébration d’une victoire militaire. Les thèmes habituellement figurés sur les arcs de triomphe sont absents ; les frises d’armes et les victoires gravant des boucliers sont les seules références. Les arcs rémois semblent plus louer la paix romaine qui apporte prospérité à leur territoire.
Des dimensions inégalées
La Porte de Mars est à ce jour le plus grand arc connu du monde romain. Elle mesure 32 mètres 40 de long et 6 mètres 40 de large. Sa hauteur actuelle est de 13 mètres mais la partie sommitale (entablement et couronnement), dont l’apparence nous est totalement inconnue, a disparu.
La composition de l’arc
Le monument se divise en trois arcades quasiment au même niveau.
Chaque piédroit se compose de deux colonnes avec au centre, de bas en haut :
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un bas-relief
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une niche
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un médaillon, soutenu par deux putti, contenant un buste en haut-relief
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un décor de draperie
Compte tenu de l’état du monument, les décors sont difficilement lisibles.
Une iconographie qui suscite des controverses
Un décor très étudié
Les spécialistes se sont surtout intéressés au décor des voûtes, mieux conservé en raison des terres qui l’ont longtemps recouvert. La première description que nous possédons date du Xe siècle. Elle est l’œuvre de l’historien Flodoard.
Au niveau des arcades latérales, les thèmes attestent de l’influence romaine. Romulus et Remus, à l’est, allaités par la louve. Léda, mortelle, séduite par Jupiter transformé en cygne à l’ouest indique le lien entre la dynastie impériale et le monde divin.
Le calendrier agricole
L’arcade centrale représente les travaux des mois. Cette invention du monde romain semble avoir trouvé une faveur particulière en Gaule, région essentiellement agricole. Toutes les autres représentations connues prennent la forme de mosaïques.
Sur les 12 scènes, 7 nous sont parvenues. Le calendrier rémois débute en juin et symbolise les richesses dont la province peut s’enorgueillir. Deux activités, encore déterminantes dans l’économie locale, sont déjà pratiquées à l’époque gallo-romaine, la culture des céréales et de la vigne.
Des scènes montrent le recours à des instruments, comme la faux ou la célèbre moissonneuse, qui témoignent d’un progrès technologique.
De l’oubli à la redécouverte
De l’oubli à la redécouverte
Une nouvelle enceinte
Jusqu’au milieu du IIIe siècle, Durocortorum est une ville prospère. S’en suit une crise économique et une série d’invasions qui affaiblissent l’empire romain. L’arrivée de Dioclétien (284) se traduit par une reprise en main du pouvoir. Les provinces sont multipliées par deux et Durocortorum devient capitale de Belgique Seconde.
Au IVe siècle, la ville se réorganise avec un nouveau plan urbain dont la réalisation la plus importante est la construction d’un rempart qui va relier les portes monumentales entres elles, délimitant ainsi une enceinte de 60 ha. L’ampleur des travaux, la monumentalité de la construction ne témoignent pas d’une période d’insécurité mais d’un renouveau de la ville.
La ville se distingue entre la partie intra-muros composée principalement de bâtiments administratifs et de monuments publics et la zone hors les murs. Celle-ci sert de banlieue avec des monuments désaffectés, une subsistance partielle d’habitat, des zones d’activités et des espaces funéraires. L’environnement immédiat de la Porte de Mars change radicalement au début du Moyen Âge (Ve – VIe siècles). Aux domus font place un espace funéraire et religieux avec l’église dite Saint-Hilaire-hors-les-murs et son cimetière.
Une lente remise au jour
Les quatre arcs deviennent portes d’entrée et points de passage obligés. La Porte de Mars conserve cette fonction jusqu’à la construction de nouveaux murs aux XIIIe - XIVe siècles et son intégration dans le château des archevêques. La porte ne répondant plus aux critères défensifs, elle est murée et une nouvelle porte, reprenant ce nom, est construite plus à l’est, au XIVe siècle – Porte Mars médiévale fouillée en 2011.
Il faut désormais attendre 1595 et la destruction du château des archevêques pour que la porte réapparaisse. Son dégagement est réalisé progressivement et achevé au milieu du XIXe siècle.
Comment restaurer ?
Dès le dégagement de la porte, des restaurations s’imposent. Celle menée par Narcisse Brunette (consultez sa biographie) entre 1844 et 1845 (reprise du piédroit occidental, côté nord) entraîne de vives critiques dont la Revue de Reims se fait l’écho « Quand partout on conserve intacts religieusement des dépôts aussi précieux, barbares, vous refaites des ruines neuves gallo-romaines. »
Un monument fragilisé
Architectes et restaurateurs rapportent successivement les désordres suivants
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une couverture fragilisée provoquant des infiltrations désastreuses
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une absence de gestion des eaux de pluie pour un terrain en contrebas
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une dégradation des parements et décors accélérée par la pollution urbaine
Entre 1982 et 1984, une opération de sauvetage est conduite. Le monument souffre de la maladie de la pierre. Sous la croute noire et épaisse qui recouvre l’ensemble, la pierre est complètement délitée. On craint une disparition totale des sculptures à court terme. Un procédé mis au point en Italie est appliqué pour traiter la pierre.
Le chantier
En 2015, la Ville de Reims sous la maîtrise d’œuvre de François Chatillon, architecte en chef des monuments historiques et sous le contrôle scientifique de la Direction Régionale des Affaires Culturelles lance une campagne de restauration partielle de la Porte Mars. Elle vise à réaliser une couverture en plomb, à canaliser les eaux pluviales et à restituer l’architrave. Autour du monument, un drainage sera mis en place pour régler le problème de stagnation des eaux.
La présence de l’échafaudage permettra des investigations archéologiques (étude du bâti lors de la dépose de la chape de béton, étude exhaustive des géomatériaux). L’objectif est aussi de réaliser une étude, préalable indispensable pour définir la restauration future du monument (parti pris, niveau d’intervention…). Pour mener à bien cette opération, la Ville en lien avec la Fondation du Patrimoine a lancé une souscription ouverte aux particuliers comme aux entreprises.
Pour en savoir plus sur la restauration de la Porte de Mars, rendez-vous sur le site de la ville de Reims.