La caricature de 1870 à 1918
Une société sous le feu du crayon
Le vent d’ouest
Cedant arma togae, Jean-Louis FORAIN
Illustration en couverture du journal Le Psst...!, n°3, 13 février 1898
Oeuvres d'artistes, Forain CLIX 10116/05
Allons-y !, Henri-Gabriel IBELS
Illustration en couverture du journal Le Sifflet, n°2, 24 février 1898
Réserve CHGG 60
Parmi les multiples scandales de la IIIe République, l’affaire Dreyfus (1894-1906) mobilise pleinement les caricaturistes : leurs visions parfois radicalement opposées s’affrontent à travers des titres de presse concurrents et se montrent caractéristiques de la scission de la société française à la fin du XIXe siècle. Les deux caricatures présentées ici témoignent de cette fracture sociétale : elles déclinent en effet un motif similaire afin de véhiculer deux conceptions de l’affaire et du procès de l’écrivain Emile Zola (1840-1902), qui se déroule alors à la Cour d’assises de la Seine.
La une créée par Jean-Louis Forain (1852-1931) pour Le Psst...!, journal antidreyfusard que cet artiste fonde en 1898 avec le dessinateur Emmanuel Poiré, dit Caran d’Ache, (1858-1909) présente ainsi un juge expulsant un képi du cadre de l’image par un coup de pied vigoureux. La légende « Cedant arma togae (Impression d’audience) » (« Les armes cédant à la toge »), accompagnée du commentaire « Et on supporte ça ! » témoigne de l’antisémitisme virulent de Forain, qui déplore le déroulement du procès d’Emile Zola. Si cet écrivain sera condamné pour son article dans L’Aurore, le procès permet toutefois aux dreyfusards de mettre en évidence les nombreuses zones d’ombre de la condamnation du capitaine Albert Dreyfus (1859-1925) et la faiblesse des preuves ayant mené à ce jugement. La justice incarnée par le personnage principal de cette caricature semble donc mettre à mal l’institution militaire et laisser libre place à la parole des dreyfusards.
Publié onze jours plus tard, le dessin d’Henri Gabriel Ibels (1867-1936) en une du Sifflet, journal dreyfusard fondé par Achille Steens (1871-1925), inverse le motif de Forain : le juge devient un général et le képi se transforme en balance de la justice. La légende de l’image, « Allons-y ! », dénonce désormais la pression exercée par l’armée française sur la justice afin de maintenir la condamnation infondée de Dreyfus et d’étouffer les preuves de la culpabilité de Ferdinand Walsin Esterhazy (1847-1923).