Chroniques de bibliothécaires

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Annie Ernaux - 39 ans avant le Nobel, "La Place"

Alors qu'Annie Ernaux vient d'obtenir le Prix Nobel de littérature, retour sur son quatrième livre, « La Place » qui lui avait valu le Prix Renaudot en 1984.

En à peine plus de cent pages, Annie Ernaux y mène une réflexion à la fois autobiographique et sociologique sur le monde populaire de ses origines, à travers la figure de son père dont elle retrace le parcours dans la première moitié du XXème siècle : sa jeunesse dans une famille paysanne normande, ses années à l'usine, puis l'achat d'un café-épicerie qu'il tiendra avec sa femme jusqu'à la fin de sa vie. Une ascension sociale toute relative, mais dont Annie Ernaux montre que chaque étape est ressentie comme capitale : la volonté de « tenir sa place » à l'usine, puis la crainte de « retomber ouvrier » ; plus tard, l'espoir que sa fille soit « mieux que lui », le souhait de ne pas lui « faire honte » après son entrée à l'université, etc.

Au fil du temps et du récit, ce milieu familial paraît de plus en plus étranger à Annie Ernaux. Sa propre ascension sociale (commençant par son entrée à la fac et la découverte d'un nouveau cercle de relations) lui donne accès à un environnement social et culturel très différent de celui de son père: « Je pensais qu'il ne pouvait plus rien pour moi. (….) J'écris peut-être parce qu'on n'avait plus rien à se dire ».

Le récit de la vie du père est donc aussi celui de la distance qui s'est instaurée entre lui et l'auteur. C'est cette distance de classe qui la conduit à mener une réflexion sur le style d'écriture à adopter pour retracer fidèlement la vie de ses parents. Substituer sa propre langue à celle qu'ils utilisaient au quotidien reviendrait à trahir leur milieu, où « l'on ne prenait jamais un mot pour un autre.

Choisissant une « écriture plate » qui traversera ensuite toute son œuvre, loin de toute emphase et recherche stylistique, Annie Ernaux intègre les mots et expressions entendues dans son enfance et parvient à recamper fidèlement (et réhabiliter ?) l'environnement social de ses parents.

Derrière le récit familial, Annie Ernaux nous offre ici une réflexion sur la représentation des milieux populaires en littérature et les limites induites par la position sociale de l'écrivain.

Écrit par Rémi S.

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